La sorcière était une fée (Monde des Religions - Hors Série 2018 )

Il peut arriver que, subitement, une fée dérange. Singulière et indomptable, la voici aussitôt traitée de sorcière. Ainsi Mélusine et ses absences, ou Jeanne d’Arc et ses voix, vénérée comme une fée, brûlée comme une sorcière. 

Souvent, les présences féériques, c’est-à-dire porteuses d’une dimension surnaturelle, sont tour à tour vénérées puis rejetées. Vénérées comme des fées quand elles viennent apporter la lumière, la victoire, quand elles déversent un peu de ciel sur terre. Rejetées quand l’exigence de cette lumière trouble l’ordre établi.

Dans certains cas donc, la sorcière est en réalité une fée qui dérange. Quand les hommes prennent conscience de leur erreur, de leur injuste désaveu ; il est trop tard. La fée humiliée s’est envolée. Alors ils se mettent à genoux pour crier pardon. Car la grâce est venue. Ils l’ont utilisé, puis aimé, puis repoussé, incapables de tenir le cap du merveilleux. 

 

Tout d’abord, la fée est crainte. Serait-elle une sorcière ? Singulière, isolée, trop belle, trop étrange, indomptable ; elle échappe au sens commun, aux limites des hommes. Elle s’impose dès le premier regard comme une figure d’ailleurs à la fois fascinante et insaisissable. Alors l’attirance et la répulsion divisent le coeur. Peut-on oser croire en cette percée du surnaturel ? En cet ailleurs transfiguré dans le corps d’une femme dont le regard brûle d’un feu qui n’est pas d’ici ? Croire dans les voix de Jeanne d’Arc ? Croire en la promesse d’amour et de succès de la fée Mélusine ? Ce qu’elles viennent offrir là, n’est-ce pas trop beau pour être vrai ? Avons-nous assez de foi pour croire que la vie va au-delà de nos perceptions, projections ? Une simple paysanne veut remettre le roi sur son trône en pleine guerre de cent ans. Une dame belle et mystérieuse propose au bord d’une fontaine à un jeune chevalier perdu de l’épouser et de lui offrir une vie heureuse et prospère. Jeanne d’Arc et Mélusine percent l’ordinaire avec leur propositions irréelles, improbables. Et pourtant, la pucelle illettrée écrasera les anglais et rendra au roi déchu son trône dévasté.  Mélusine, agrandira le domaine des Lusignan, aimera Raymondin d’un amour fou, lui donnera dix enfants, le rendra riche, aimé, respecté, mais… Mais il doit accepter que Mélusine disparaisse tous les samedi sans explication. De même que les soldats devront croire les voix de la paysanne et la suivre. Accepter le mystère pour que l’impossible advienne. 

Jeanne d’Arc, la sainte sacrifiée ; Mélusine la fée de la légende poitevine seront toutes les deux, aimées et admirées. Elles laissent sur leur passage une trainée de lumière que les gens recueillent à pleines mains. Mais cette lumière a un prix. Et ce prix, les simples mortels ne sont pas prêts à le payer. Pour justifier donc leur limite et leur manque de foi, ils trainent dans la boue ce mystère qu’ils ne parviennent pas à supporter, à assumer. Raymondin, l’époux aimant, brise le pacte initial dans un sursaut de jalousie et de manque de foi. Il va surveiller sa femme qui dans ses appartements batifole nue dans une vasque de marbre, mi femme, mi serpent. Saisi, il pleure d’avoir été sacrilège. Mais il n’avoue pas sa découverte à Mélusine. Seulement, un jour de colère, il hurle que son malheur vient de sa femme, « cette fée, cette maudite serpente ». Puis « Que Dieu me préserve du diable et me garde dans la foi catholique ! ». Elle s’évanouit de chagrin. Tout est fini. Son grand amour n’a pas su garder la grâce. Il est tombé dans la banalité du rejet de la féérie. Elle est alors devenue sorcière à ses yeux en un éclair. Un éclair qui suffit à foudroyer leur amour. La frontière entre la fée et la sorcière est-elle si ténue ? Pour ne pas être qualifiée de sorcière, faudrait-il cacher sa part de féérie ?  Après des déclarations d’amour déchirantes, Mélusine s’envole par la fenêtre, transformée en serpent volant qui hurle un cri de désespoir. 

Quand à Jeanne d’Arc, il suffira que son œuvre soit accomplie auprès du roi Charle VII et de quelques défaites pour qu’on la vende aux anglais. Grâce à elle, à sa fougue, à sa foi, à son mystère fascinant et dévastateur, la France s’est remis à cheval. Maintenant qu’elle galope, la sainte dérange. Trop libre, trop imprévisible. On ne peut maîtriser une jeune femme en habit d’homme qui n’obéit qu’à des voix divines. Elle subira donc un procès qui est une mascarade destinée à mettre en lumière la sorcière qui veille en elle. Mais cette jeune femme de dix neuf ans, seule contre tous, tiendra le cap de son âme, de sa mission et déclarera sans cesse : « En cas que l’Eglise me voudrait faire faire autre chose au contraire du commandement que je dis à moi fait par Dieu, je ne le ferais pour rien au monde ». Elle sera condamnée au bucher pour hérésie. Elle ira à l’échafaud sur une charrette, escortée par plus de sept cents gardes ; comme une reine dans une tunique de toile soufrée, couronnée de sa foi. Elle écoutera la sentence sur son échafaud au milieu de la foule : « Tu as été trouvée par nous rechue en diverses erreurs et crimes de schismes, d’idolâtrie, d’invocation de diables et plusieurs autres méfaits, pour ces causes par juste jugement, nous te déclarons hérétique ». Puis au milieu des flammes, des témoins l’entendent répéter « Les voix que j’ai ouïes étaient de Dieu. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait par le commandement de Dieu ! Non, mes voix ne m’ont pas déçue. Les révélations que j’ai eues étaient de Dieu ». Elle crie une dernière fois « Jésus » avant de mourir. On rapporte que malgré tous ses efforts, le bourreau n’a pas réussi à brûler son cœur resté intact. Vrai ou faux ? Qu’importe! Cette image révèle que le feu des hommes ne peut avoir raison d’un cœur de fée. 

 

Blanche de Richemont