Une chambre et rien d’autre ( Monde des Religions )

Le sage nous encourage à partir sur les routes du voyage immobile. J’ai toujours trouvé l’idée séduisante pour les autres. Je passais en effet le plus clair de mon temps à arpenter les déserts du Sahara. Pourquoi me sentais-je plus vivante dans les sables étoilés que dans la ville où j’ai grandi ? Pourquoi cette nécessité vitale de me brûler les yeux à scruter des horizons pleins de mirages ? Car dans ces terres vierges des hommes rien ne ment. Tout est vrai, juste, simple et pur. Alors l’âme sort de sa chrysalide. On lui laisse enfin la place. Et si elle réveillait aussi dans la pièce où l’on s’endort ? 

Mère de famille, j’ai découvert que ma chambre pouvait être mon Sahara. Chaque soir, j’ouvre la fenêtre qui laisse passer la nuit et je devine les étoiles. Même si la ville ronronne, je marche vers un autre silence, celui qui ne demande rien, n’attend rien, juste se laisser porter par le temps qui s’écoule comme il l’entend. Ce sont des instants gratuits car il n’y a rien à chercher. Simplement être là, assis à gouter l’air du soir qui est à lui seul un voyage. Quel luxe de ne rien faire, d’oser cela. Sans craindre l’ennui, ni vouloir une rentabilité quelconque. Oser être là, disponible. Et laisser faire, sans rien maîtriser, s’abandonner à la nuit qui appelle la paix au cœur des tourments. 

Nous vivons tous en apnée. Dès le lundi, nous attendons le week-end. Dès la rentrée, nous songeons aux prochaines vacances. Or nos échappées belles sont là, à portée de main. Bien-sûr il est peut-être moins exotique de rester immobile dans sa chambre que de s’enfoncer dans les montagnes du Sinaï ; mais il y a des sommets invisibles qui nous espèrent chaque jour. 

Nous avons tous besoin de moments sources qui nous redonnent des forces. Au cœur du chaos, nous crions ces mots de Baudelaire « Loin, loin, ici la boue est faite de nos larmes ». Mais loin, c’est ici. Dans le silence. 

J’ai appris à partir en regardant par la fenêtre car j’ai désormais le goût de l’âme. Grâce au désert. Faudrait-il donc se retirer du monde pour apprendre à y rester ? A chacun son chemin. Le maître véritable de Siddharta, le héros du chef d’œuvre de Hermann Hesse, était un passeur qui emmenait des gens avec sa barque chaque jour de l’autre côté de la rive. Il a touché au secret du monde en écoutant sa rivière. Il n’a pas eu besoin de partir, puisque sa façon d’être en vie était déjà un voyage. 

Les saints, les ascètes, les ermites, les moines de toutes les traditions s’isolent pour se vouer corps et âme au mystère. Jésus s’est aussi recueilli dans le désert avant de se révéler aux hommes. Le retrait semble donc un passage nécessaire pour n’être plus qu’un cœur en paix qui se donne. Quand on a trouvé en soi une oasis, un Sahara, une cabane, un peu d’amour ; on sait où se réfugier au milieu des hommes. 

Il suffit parfois d’ouvrir la fenêtre quand les enfants dorment et l’on revient à la source : un silence qui n’attend rien. Juste une présence dans la nuit, comme une rose qui se recueille dans ses pétales en attendant le soleil. 

Blanche de Richemont